05 février 2011

Ni le fascisme, ni la démocratie...



« Tout pouvoir qui n’est pas spirituel et pur finit dans le sang. Il n’est d’autorité stable que celle qui ne contraint que par l’exemple et ne s’appuie que sur l’estime et l’admiration ».


« Il n’en faut pas douter : la démocratie prise entre l’universalité de ses fondements et le souci égoïste de ses intérêts nationaux, se trouve dans une situation faible devant le fascisme qui identifie pour son compte ses principes et ses ambitions. Il met sans cesse la démocratie en contradiction avec elle-même sans qu’elle puisse jamais lui rendre la pareille. Il se vante de tout ce qu’elle lui reproche. Aussi contre lui, a-t-elle perdu d’avance la partie : il la surclasse. Mais il reste possible d’opposer à l’idéologie fasciste quelque doctrine qui possède sur elle le même avantage de position qu’elle a su prendre sur les conceptions démocratiques. Il faut lui opposer la notion d’ordre, valable pour la totalité des hommes, qui n’asservit pas à des appétits nationalistes, à des coalitions d’intérêts de toute espèce, l’avenir de ceux que la fatalité destine à dicter la loi, et le bonheur des autres pour qui l’obéissance est un léger fardeau quand ils peuvent être esclaves de leurs plaisirs.

La notion d’ordre s’adresse aussi bien aux ressortissants des régimes autoritaires qu’à ceux des puissances libérales. Elle oppose à toutes les nations l’image d’une patrie clairsemée, éparse par tout le globe, qui réunit en une cité invisible ceux qui se sont reconnus comme de même nature et de même destin. Elle représente, dans un avenir aussi lointain qu’on voudra, ce que le fascisme qui jette les masses les unes contre les autres, et la démocratie qui consacre en aveugle la désastreuse loi du nombre, seront toujours impuissants à incarner : l’espoir d’une communauté universelle où le pouvoir ne sera pas confié à l’incapable et à l’indigne, mais à ceux que qualifie pour l’exercer le mépris qu’ils ont pour les autres biens du monde. »

Roger Caillois, « La hiérarchie des êtres »
Relations et oppositions de la Démocratie, des Régimes totalitaires et de la notion d’ordre,
étude publiée en avril 1939 dans Les Volontaires n°5,
in Naissance de Lucifer, fata morgana, 1992.