08 février 2007

La grande bifurcation et la fondation d'une nouvelle culture


Le goût de l’avenir (1)


Il y a quelques semaines, alors que je cherchais dans ma bibliothèque de quoi alimenter un futur article sur la question environnementale et le changement climatique, ma main s’est posée sur un ouvrage de Jean-Claude Guillebaud au titre évocateur, « Le goût de l’avenir ». J’en ai relu avec attention les dix premières pages.


« Le goût de l’avenir » est, en fait, une formule du célèbre sociologue allemand Max Weber à propos de la politique.
Justement, en quoi consisterait ce « goût » ?
Dans le refus du bonheur modeste de l’instant tout autant que dans celui du fatalisme désenchanté. Il devrait s’agir, comme le souligne Jean-Claude Guillebaud, de reconquérir une « maîtrise minimale de l’histoire ».

Après l’ère gaullienne, l’ère mitterrandienne et l’ère chiraquienne, voici enfin venu le temps de la relève, nous dit-on. Pourtant, et malgré leur prétendue « jeunesse », les politiques peinent à incarner ce goût de l’avenir et à emmener dans leur sillage toute la nation. Et ce constat à l’échelon national, rendu plus éclatant en raison du temps électoral, vaut depuis plus longtemps encore au niveau européen.

Ce défaut d’une personnalité charismatique animée d’une grande « vision », comme chaque Français espère maintenant voir émerger du paysage politique, est de surcroît dramatiquement accusé par le temps historique.

La fréquentation des intellectuels permet, en effet, de comprendre que nous sommes en train de vivre, non pas un changement, mais une « révolution », voire même ce que le prix Nobel Illya Prigogine appelle « la grande bifurcation », c’est-à-dire une combinaison des trois « révolutions » contemporaines (économique, numérique et génétique).
Selon lui, elle surpasserait la révolution des Lumières, le passage de l’ère médiévale à la Renaissance et même la chute de l’Empire romain. Cette « grande bifurcation » serait d’une ampleur comparable au basculement qui, il y a douze mille ans, fit passer l’humanité du paléolithique au néolithique et qui nous valut l’entrée dans la civilisation.

Dès lors, combien nous semblent dérisoires ces questions de carte scolaire et de cantine, ces formules et slogans bêtes à pleurer... De mémoire, aucune campagne présidentielle ne fut aussi nulle.

Alors que tous les paradigmes perdent progressivement de leur efficience dans quelque discipline que ce soit, tout serait à réinventer. Comme le suggère Jean-Claude Guillebaud, « Idéalement, il faudrait déplacer les lignes, secouer l’échiquier, ignorer les catégories et les frontières, bousculer les disciplines du savoir, explorer les marges, braver les convenances intellectuelles et renoncer aux prudences finaudes. »

C’est dire si les politiques sont « out » !

Face au monde ancien, le monde que nous avons connu, qui meurt et s’efface à une vitesse exponentielle, la tentation est grande de céder à la nostalgie. Est-ce un hasard si l’exposition au Grand Palais sur le thème de la «Mélancolie » a battu des records de fréquentation fin 2005-début 2006.
Concomitante à la Grande Croix fixe formée de Mars, Jupiter et surtout de l’opposition Saturne-Neptune, l’astrologue, lui, n’a pas été étonné du succès de cette manifestation.

Pourtant, rien n’est à regretter. Il ne faut pas pleurer sur cette culture, une « culture de mort » contre laquelle Jean-Paul II a lutté tout au long de son pontificat.
A-t-elle empêché Rome ou Athènes de disparaître ? A-t-elle retenu l’Occident qui les a remplacées de massacrer des peuples colonisés, de tuer des femmes et des enfants, d’occire des innocents, des animaux, des plantes ?
Tout ce qui vit et respire sur notre planète Terre, tout ce qui est inerte aussi, a été saccagé, exploité, gâché, détruit.

L’humanisme occidental, un humanisme de pacotille, a toléré l’abomination d’Hiroshima et de Nagasaki. Pire : l’extermination des juifs.
J’ai toujours en mémoire les mots de George Steiner dans un entretien pour le Magazine Littéraire de juin 2006 : « (...) l’Europe est peut-être fatiguée de ses deux mille ans d’histoire. Pourquoi se remettrait-elle des deux guerres mondiales, des tueries de la Première aux massacres de la Seconde ? Dans le passé, des empires immensément doués ont disparu ! Et puis, il est possible que les cultures qui tuent leurs juifs ne revivent pas. »

Après cela, il ne reste plus qu'à ressusciter.

Et comme l’écrit Michel Serres : « D’éduquer cet autre humain en train de naître, de fonder une culture neuve où croissent les obstacles au retour de la barbarie, de déployer un autre grand récit à partir d’une encyclopédie des sciences, de concevoir une philosophie, d’imaginer une politique, de construire une autre cité, comme aux temps d’Erasme, de Rabelais ou de Montaigne, passée la scolastique du Moyen-âge, comme aux temps où Saint-Augustin bâtissait, sur les ruines de la ville romaine et terrestre, la cité de Dieu, (...), comme aux temps où Jésus-Christ payait de sa vie la reconnaissance des victimes innocentes, (...).

A suivre.

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